Devant nous, la piste. Un an déjà que l'on attend ce moment. Jean a déjà roulé sur piste dans
les Kimberleys, il m'avait averti, la "corrugation"(def)* use les motos, ébranle les suspensions et libère les écrous.
Toutes les indications sont au vert, la route est ouverte à tous les véhicules à part au poids lourds. Il y aura sûrement quelques passages dans l’eau, les inondations du Northern territory ne datent que d'un peu plus d'un mois. Avant d'arriver dans le désert, plusieurs personnes nous rassurent :"là-haut c'est magnifique, cela n'a pas été comme ça depuis au moins 30 ans. Tout est vert, des herbes hautes partout, des fleurs. Vous avez de la chance !".
Sur la moto les sensations sont perturbantes, l'arrière chasse et la roue avant vole au-dessus des cailloux. Je me lève pour la première fois, je sais que c'est censé permettre un meilleur équilibre. Au bout de 100 km et après m’être légèrement détendu, je chute. A environ 70 km/h, la trace que je suivais s'efface dans un banc de sable profond. Je me retrouve à regarder le ciel, je ne bouge pas. J’attends d'avoir le retour de mes sensations
L'adrénaline me pousse dans une sorte d'hyper réalité et je me surprends à admirer la flore du bord de la route. Jean à au moins 5 minutes d'avance, il fera bientôt demi-tour. Derrière moi le bruit d'un convoi de 4x4 me pousse à me lever. Je n’allais pas trop mal, et il fallait le montrer.
Ma "103" est sur le flanc et mon pare-brise en éclat à 10 mètres de là. Après avoir relevé la moto avec l'aide de ces vacanciers en habits d'aventuriers, je remarque que mes deux valises pendent au bout de la seule sangle encore accrochée. Jean arrive. Il me demande immédiatement comment je vais et en bon secouriste d'expérience tâte mon dos à la recherche d'une erreur.
Le soir nous sommes donc restés camper à 10 mètres de là dans le bush. Le lendemain matin, à l'aube, nous refixions mes valises. Il ne restait plus qu'à démarrer la moto. Jean a changé le fusible principal, toujours rien, sauf en poussant, démarrage en seconde. Nous avons fait 200 km de la sorte, nous ne nous arrêtions qu'avec un dénivelé suffisant pour pousser facilement. Heureusement cette petite galère ne dura pas. Les fils du démarreur ont été écrasés pendant le crash. Le rouge avec le rouge, un peu de scotch et me voilà de retour dans le monde de la bobine électrique !
Un maximum de 250 km par jour, une pause tous les 30 km, nous avalons le désert et mangeons la poussière. A midi c'est thon ou poulet en boite, le tout coincé entre deux morceaux de faux pains. Notre ingrédient indispensable, que certains considèrent comme un luxe, le café.
Certains soirs, lorsque la douche s'impose, nous nous arrêtons dans une road house. Ces villes/stations essences sont souvent aux abords d'une communauté aborigène. Il y a beaucoup d'interdit et les tensions se font sentir entre les blancs, souvent salariés de la Road House et les aborigènes. De grands panneaux nous rappellent que nous ne pouvons prendre de photos ni même faire un détour dans la communauté locale. Tout est grillagé, cadenassé et l'essence OPAL a été modifiée pour ne pas être sniffée...
A suivre...
Def : Corrugation : mot anglais, effet de "taule ondulée" dans un mélange de sable et de gravier, formé par le passage régulier de véhicules.